Décorons les étagères

Micka était particulièrement agacé par la situation. Ca avait plutôt mal commencer cette histoire. On l’enlève ? Ok. On le maltraite ? Pourquoi pas : ça allait de pair avec les enlèvements. Mais alors ce qu’il avait du mal à digérer, c’était l’épisode de la formation de son petit groupe. Ho, il avait bien compris le passage sur les responsabilités de sa charge. Donc, il était un loup-garou, protecteur de la terre et blablabla. A grands pouvoirs, grandes responsabilités ; oui, comme la vieille, il avait vu le film. Par contre, au lieu d’un costume, il fallait faire équipe avec des inconnus. Mon chef est un chien. Un gros chien. Mais un chien quand même. Les deux autres ? Ché pas. M’en fou d’ailleurs, pensa-t’il. Non, ce qu’il n’arrivait pas à digérer c’était que lui n’avait pas eu droit à un nom, à peine une désignation : Rongeur d’Os. Pfff. Ca faisait peut-être un peu trop tomahawk, plumes et peau rouge, mais après tout si les autres en avait un, pourquoi pas lui. Ho et puis merde, s’il n’avait pas de nom, il en donnerait aux autres.
Il avait voulu en parler directement à Mamie-Nova en essayant de contourner le type-ricanant-qui-faisait-tomber-la-foudre. Et puis il était encore tombé sur ce type, là, celui qui avait pris un malin plaisir à le maltraiter. Il lui avait arraché la peau du cou (encore) et l’avait entraîné on-ne-sait-où. Bon, c’était un peu de sa faute. Peut-être n’aurait-il pas dû essayer de lui chiper son verre.
Quoiqu’il en soit, il était de nouveau dans la petite pièce pleine d’armes avec le type au cigare. Seul. Il eut vaguement l’image de la gamine avec qui il s’était enfermé tantôt. Maintenant, c’était à son tour. Pas clair tout ça.
Il chassa cette idée (et l’image de lui habillé en Jacques et le haricot magique). Non évidemment ça ne se passerait pas comme ça. Ho, et puis zut : s’il avait quelque chose à dire, il n’avait qu’à le faire ! Lui ne tenterait rien.
Il s’accouda à une espèce de bar. Réfléchi à la prochaine saison de sa série TV préférée. Se dit qu’il irait bien au cinoche voir un bon film samedi. Chassa une mouche imaginaire. Puis, s'écria, excédé :

- Bon, y’s’passe quoi maintenant !

Ce jeune Rongeur avait l’air bien nerveux, mais après tout il n’y avait rien d’étonnant à cela, étant données les circonstances. Minos était grand, massif, costaud (d’autant plus lorsqu’il adoptait sa forme Crinos comme maintenant) mais c’était quelqu’un de nature calme et s’il lui arrivait de faire du mal c’était simplement par maladresse. Il toisa le louveteaux avec son air de force tranquille qu’il ne faut quand même pas trop pousser à bout sinon les baffes partent vite et Gaïa sait qu’elles font mal.

" Maintenant il se passe que, au cas où tu ne l’aurais pas encore bien compris, tu es un loup-garou, que je suis un loup-garou et que tu es dans un camp de Garous dans une forêt pas loin de Paris. "

Le ton de l’Uktena était loin d’être agressif, plutôt posé mais ferme. Il ne voulait pas brusquer ce jeune loup, mais simplement que les choses soient claires une fois pour toute. Micka savait à présent qui il était et où il se trouvait. Minos poursuivit :

"Ici comme tu peux le voir il s’agit de notre magnifique armurerie, je sais tu vas me dire que c’est un peu vide mais je compte justement sur toi pour me remplir un peu les étagères. En attendant de t’en dire plus je vais donc te demander un petit travail, en échange de quoi – dans ma grande grâce - je t’offrirai un peu d’équipement… "

Oui, le loup n'avait pas vraimentt besoin de poser les choses : il avait enfin réaliser.Le coup des loup-garous en tout cas. Ca y était : on était dans un monde pourri. Sa seule chance ? Nous.
Le Loup au cigare lui avait confirmé qu’il était encore à Paris. Bon à savoir ça. Il avait donc deux choix : soit partir, soit rester. L’un ou l’autre choix lui auguraient des conséquences plutôt nébuleuses. En soi, ce n’était pas bien grave : Micka avait toujours eu un peu de mal à conceptualiser sa vie au-delà d’une semaine. Et encore. Donc peser le pour et le contre par rapport à un avenir lointain n'était pas trop à sa portée. Pour l'instant, il ne voyait pas trop pourquoi il partirait. Par contre, il voyait bien pourquoi il resterait : la curiosité, du temps libre et une chose énorme et poilue entre lui et la porte.
Micka se gratta ostensiblement le fondement et dit :

- Bon, ok, ok. Qu’est-ce que je dois faire ?

Puis ajouta en guise de boutade :

- Attaquer des méchants pollueurs et leur prendre leurs armes ?

"Etant donné ton niveau actuel, je doute que ce soit une bonne chose pour toi de te lancer seul à l'assaut des méchants. Mais pour ce qui est des armes il y a un peu de ça en effet..."

En tant que responsable de l'armurerie Minos devait veiller à ce qu'il y a toujours de quoi équiper les garous du Caern de la Feuille Morte. Or pour le moment il devait bien admettre qu'il faillait un peu à sa responsabilité. Et comme l'Uktena faisait partie de ses gens qui pensent qu'on ne fait pas de bons ouvriers qu'avec de bons outils, il avait décidé de remédier à ce problème au plus vite. Minos avait contacté un de ses anciens camarade de meute afin que ce dernier lui fournisse quelques armes - voir au mieux quelques fétiches bien utiles.

"Tu connais un peu Paris ? Il faudrait que tu rendes près de la Cathédrale. Là tu devrais trouver quelqu'un qui aura un sac pour moi, indique que tu viens de ma part et ramène-moi ce sac..."

Micka se gratta le menton.

- Ouais, ouais, c'est sûr, chui plutôt pas trop prêt pour partir en guerre, là. Bon, bon, on va faire ça. c'est pas trop dur. Il est pas trop lourd le sac hein ? Nan, j'plaisante, j'plaisante. Juste un peit truc avant de partir accomplir mon destin pour la survie du monde.

Il se remonta le pantalon.

- Je pourrais avoir un T-shirt, des chaussures et ce qui pourrait ressembler à pantalon ? Parce que prendre le metro comme ça, ca va être plutôt limite. Je parle même pas de l'argent pour payer le ticket.

Il afficha un large sourire en tendant la main vers Minos.

" Des fringues ? hum..."

Minos était un spécialiste des armes. Demandez lui une lance, un grand klaive, des épées qui font des éclairs, soit. Mais pour ce qui était des vêtements, ce Rongeur d'Os n'avait pas vraiment frappé à la bonne porte. Enfin...
Face au sourire (narquois?) de Micka, l'Uktena poussa un bref soupir et alla farfouiller dans un coffre au fond de la pièce. Il en sorti plusieurs pièces de tissu, plus ou moins en bonne état, mais Minos espérait bien trouver quelque chose là dedans. Après tout l'autre gosse avait raison, il ne pouvait pas se promener à moitié nu en ville, même s'il était un Enfant de Rat...
Finalement Minos extirpa triomphalement un jean usé, un chemise à peine fripée et pas de chaussures...

"Heu désolé c'est tout ce que j'ai à te proposer pour le moment, essaye de voir si tu pourras pas trouver autre chose à te mettre une fois en ville..."

Minos tendit les frusques à Micka, il décrocha également une sangle accrochée au mur.

"Tiens si t'as besoin d'un ceinture... Bon et n'oublie pas, sur le parvis de la Cathédrale Notre Dame, tu viens de la part d'Oeil-Occulte, c'est moi."

Micka avait pris les frusques du bout des doigts en grimaçant. Puis, relevant la tête il avait fait une nouvelle grimace en tentant d'adopter un sourire de remerciement :

- Ha, ouais, cool, cool. C'est vraiment... gentil, mec.

Après avoir changé d'habit , il se présenta face à Minos. Pieds nus. Il détestait ça. Pour qui le prendrait-on ? Mais bon, il avait une chemise, ce n'était déjà pas si mal. De toutes les façons, il se débrouillerait pour passer chez lui avant de revenir à la grotte.

- Bon, bé, j'y vais moi...

Il laissa passer quelques instants. Puis ne voyant rien venir, pas de questions, ni de réactions, il ajouta :

- On fait comment pour le métro ?

Il avait abandonné l'idée qu'on lui fournisse une bagnole à la 007 depuis qu'il avait découvert la maigreur du budget alloué aux vêtements.

" Le metro ? c'est tout simple tu vas voir ! tu descend l’escalier, tu marche dans les couloirs et quand tu vois la barrière qui te barre l’accès au quai… tu sautes par-dessus. C’est moins cher et tout aussi efficaces que les tickets. "

L'Uktena grommela quelque chose avant de tourner le dos et de mettre à astiquer les fusils qu'il venait d'acquérir. Beuh! il y en avait un dont la crosse était couverte de sang, et rayée de partout. Qu'est ce qu'on avait bien pu faire avec ces joujoux...?
Un instant passa, et voyant que Micka n'avait toujours pas bougé, Minos tendit le bras en direction de la porte:

"Allez file maintenant, la sortie est par là, et la ville est juste au Nord-Ouest..."

Et ben : on peut pas dire que les choses soit très très organisé dans le coin, grogna Micka. Il le grogna assez doucement pour ne pas que Minos l'entende : par principe, il avait besoin de montrer son désaccord... mais pas trop quand même. La paluche du loup-garou l'impressionnait quand même pas mal. Il faut dire qu'un poing aussi gros qu'une tête impressionne par essence. Il tourna les talons et lança à la compagnie :

- Bon, ben je vais sauver l'monde alors.

Il sortit donc dans le nouveau monde qui s'ouvrait à lui.

S’il s’était résolu à rentrer au Caern, il avait néanmoins voulu faire un détour par chez lui comme il se l’était promis en quittant la grotte. Il avait attendu un peu que la vieille sorte faire je ne sais quelle course en pleine nuit pour se faufiler dans la bicoque. Hélas, la vieille avait décidé de rester chez elle. Aussi avait-il décidé de se la jouer discret. Bien des fois, il avait fui les lieux sans se faire remarquer. Il avait bien l’intention de réitérer l’exploit… mais à l’envers. Le bruit de la clef tournant dans la serrure fut un supplice et le grincement de la porte, une torture. Mais il fut assez content de lui. Il laissa la porte entrouverte et se déplaça lentement vers sa chambre. Du bruit de vaisselle dans la cuisine. Il passa devant la porte fermée. Heureusement, la vieille avait l’habitude de se barricader dans son antre. En effet, le bruit de la télévision, poussée à son maximum à cause de la surdité du vieux, l’empêchait d’écouter les grosses têtes sur RTL. Dur. Il passa derrière le fauteuil du vieux. Un crâne dégarni depuis bien longtemps en dépassait. Il entra dans sa chambre. Celle-ci était restée comme la veille. Peut-être un ou deux sous-vêtements rangés… Merde, ça voulait dire que la vieille avait fouillé. A la recherche de drogues probablement. Il détestait ça. Comment pouvait-elle croire qu’il prenait de la drogue ? Non, en fait ce qui l’agaçait, c’était qu’elle puisse le croire assez crétin pour laisser la camelote à porter de panard. Pas fou le mec ! Bref…
Il pris deux ou trois trucs qui lui permettrait de tenir un minimum. Il pris un grand plaisir à se changer. Certes il ne prit pas de douche : il ne pourrait pas le faire sans avertir sa grand-mère. Il sortit donc. Arrivé dans le salon, il s’arrêta deus secondes devant la télévision. Un présentateur hurlait des prix à une pauvre bonne femme apeurée. L’aurait-elle son million ? C’est dingue comme il se sentait loin de ce monde. Depuis hier, il n’était plus le même. Sa vie avait changé. Etait-ce un bien ? Arf, trop de questions, trop de questions. Il décida de partir le plus vite possible. Il n’avait que trop tardé. Il s’avança vers la sortie du salon quand il se rendit compte que le son de la télévision avait inexplicablement baissé. Une chose qui n’était pas arrivée depuis au moins sa naissance. Une voix surgissant du fauteuil le figea :

- Didonc grand, t’as affolé ta grand-mère.

Sans se retourner, Micka répondit hésitant :

- Pleins de nouveaux trucs à faire Papi.

- Ca a un rapport avec la drogue ? Tu sais bien qu’elle aime pas ça…

- Non papi, rien de criminel. Faut que j’y aille.

Il fit un pas mais la voix repris :

- Je lui dis quoi pour la rassurer ?

- Heu… T’as qu’à lui dire que je vais tenter de sauver le monde.

Après un silence plus qu’éloquent, le grand-père repris :

- On va peut-être juste dire que t’as rencontrer une jolie nana. Je voudrais pas qu’elle pense que t’es dans une secte.

- Ok papi, ok. Faut que j’te laisse maintenant.

- D’accord fiston, fait attention à toi.

Le son de la télévision repris ses droits.
La plus longue conversation qu’il avait eue avec son grand-père l’avait tellement déstabilisée qu’il avait bien failli confondre la porte de la cuisine avec celle de l’entrée. Heureusement, il s’était ressaisi et était sorti de son chez lui. Ou de leur chez eux. Là, il ne savait plus trop.
Muni de ses deux sacs, il entra dans la grotte. Ici et là il vit des hommes loups qui le laissèrent passer. Y’en avait une qui se tortillait sur un banc. Drôle d’endroit où dormir. Il espérait en tout cas avoir un pieu plus confortable. Il fit son entrée dans l’armurerie en lançant un :

- Hey, pépère ! Je t’ai ramené un p’tit cadeau !

"Et bien où est-ce qu'il est passé le lourdaud ?! MINOS !!"

Zagorus, le Seigneur de l'Ombre, était entré dans l'armurerie d'une façon singulière et qu'il appréciait particulièrement : en utilisant son don de Jeu des Ombres. Une masse sombre s'était déplacé dans les galeries du caern jusque dans le repaire habituel de l'Uktena et de ses armes pour soudainement se matérialiser en un immense homme à l'air brutal et à la longue chevelure noir.
Enfin Minos ne semblait pas être là, la petite plaisanterie qui consistait à apparaître mystérieusement devant lui tombait à l’eau. Ce qui renforça d’autant plus la mauvaise humeur du Seigneur de l’Ombre.
Non le gros Uktena n’était pas là mais il y avait quelqu’un d’autre, un Rongeur d’Os. Zagorus le toisa d’un air méfiant, il faut toujours se méfier des fils de Rat, on ne sait jamais de quel sale coup ils sont capables.

" Dis-Donc qu’est ce que tu fais là toi ? "

- Et bien où est-ce qu'il est passé le lourdaud ?! MINOS !

Dire que Micka sursauta est un euphémisme. Il fit bond magistral avec un glapissement digne d’un petit chiot. Il failli lancer un "putaindebordeldemerdedebordelàqu…" , mais s’arrêta juste à temps. Car il venait de reconnaître le psychopathe, le type-ricanant-qui-faisait-tomber-la-foudre. Brrrr… Putain, il lui filait les foies. Etait-il du genre à manger le cerveau de ses ennemis ? Il ne voulu pas imaginer la réponse. Pas même un semblant de formulation.
Hannibal Lecter n’avait pas encore repéré le jeune Rongeur d’os, semblait-il. Aussi, pendant quelques instants, le jeune homme pensa que, peut-être, il pourrait lui échapper. Ha, désenchantement : traîtresse de l’espoir ! Posant enfin des yeux ombrageux sur Micka, il dit d’un ton plutôt acerbe :

- Dis Donc, qu’est ce que tu fais là toi ?

Après un petit blanc :

- Heu… Ben… essaya Micka. Un truc à donner à Minos. Mais lui pas là. Alors moi partir.

Il pris ses deux sacs et recula vers la porte en lançant des sourires grimaçants vers son interlocuteur.

- Allez, bonne journée !