De quoi décorer les étagères:

Micka n’avait pas franchement filé par la voie la plus simple pour arriver à bonne destination. Il avait peur d’être suivi. On ne sait jamais après tout : il était la dernière ligne de défense entre le bien et le mal. Donc, il se devait de survivre et donc de prendre un maximum de précautions. Bon, il est vrai surtout qu’il avait peur de rencontrer quelqu’un de sa connaissance. La honte de se retrouver pieds nus devant l'une de ces personnes lui avait fait faire le tour de Paris pour ne prendre que certaines lignes sures. Aussi s’était-il retrouvé à la sortie du métro Saint-Michel, certainement très en retard à son rendez-vous. Chose qui ma foi ne lui aurait pas poser de problème s’il n’y avait pas un Minos qui attendait.
Bof, Il n'avait pas vraiment éprouvé ce genre de sentiments tout à l'heure. En effet, son premier réflexe avait été de rentrer chez lui. Mais finalement il y avait renoncé. Sa mère adoptive était encore à domicile et il n’avait pas trop envie de la croiser. Il devait attendre encore une bonne heure avant qu’elle ne quitte le domicile et pour qu’il puisse enfin se servir dans son placard. Aussi avait-il un peu pensé à Minos et au risque qu'il prenait en n'allant pas tout de suite à son rendez-vous. Et puis, n'y avaitil pas une récompense à la clef ?
Il se dirigea vers la cathédrale en passant par les petites rues commerçantes, emplies de restaurants à touristes où les menus s’articulaient entre soupe à l’oignon, fondu ou kebab. Son ventre grogna lorsqu’il passa devant une vitrine où de la viande et d’autres mets s’exposaient. Mais le type gardant la porte, si enclin à entraîner des gogos d'habitude, refusa de le regarder. Il préféra jeter son dévolu sur un couple d’italiens. Micka n’en fit pas trop cas. Les chaussures. Un royaume pour des chaussures ! S’en procurer ! Il imaginait quoi l’armurier de service ! Qu’il allait se transformer en méchante bête et sauter dans le premier magasin de shoes en grognant et bavant pour avoir des chaussures ? Il connaissait pas la carte bleue ce type ou quoi ?
Ce faisant, il s’approchait de la cathédrale prêt à rencontrer son interlocuteur. Merde ! Comment il le reconnaîtrait le loustic ? Et lui d’ailleurs ? Il haussa les épaules. Après tout si un type avec un grand sac ne venait pas à lui, il rentrerait bredouille. Il voulait bien rendre service, mais y’avait pas écrit la poste.
Il s’installa donc sur une place à peine libérée et attendit profitant que le soleil lui réchauffe la nuque.«

- Un début de soirée presque normale, savoura-t’il.

Le jour commençait à peine à décliner et la foule à se dissiper qu'une voix interpella le jeune Rongeur d'Os en mission.

"Yo mon frère ! alors toi aussi t'es tombé dans cette galère ?!"

Celui qui venait de parler n'avait pas l'air tellement plus reluisant que Micka et ses pieds nus. L'inconnu s'avança, il était grand et son teint était mat. Le sommet de son crâne était recouvert d'épaisses dreadlocks et il n'avait pas dû se raser depuis un bon mois. De ce fait il était difficile d'estimer l'âge du bonhomme aux vêtements fripés et orné d'une bonne dizaine de colifichets. En fait il ressemblait tout à fait à ces vendeurs qui poursuivent les touristes pour leur refourguer cartes postales et autres portes-clefs. L’habit faisant parfois le moine, c’était précisément le boulot de notre ami. Du moins pendant la journée.

"Serre m’en cinq p’tit gars ! Hey ! j’t’ai tout de suite repéré… j’t’ai senti… T’es nouveau dans l’coin ?"

Micka regarda le bonhomme de haut en bas puis de bas en haut. Deux choses lui vinrent en tête. La première, prendre la main du type et la serrer. La seconde, lui demander si le club dont ils appartenaient ne devrait pas - plutôt que d’acheter des lames et couteaux de toutes sortes – casser la tirelire et réfléchir à cette question des chaussures. C’était un truc à creuser, ça ! Ok, sauver le monde. Mais pourquoi le faire pieds nus, bon dieu ? Il ne voulait pas faire une espèce de fixette là-dessus (y’aurait aussi pas mal à dire sur les rites de passages, la bière pas fraîche et l’inexistence de wolf-car) mais bon, si tous les loups-garous étaient pieds nus, il comprenait pourquoi ils étaient en voie de disparition.
Puis un doute le foudroya. Et, croyez-le ou pas, il était rarement foudroyé, surtout par le doute. Quelque chose n’entrait pas dans le cadre de rencontre qu’il s’était fixé. Bon, que le type soit pieds nus, passons. Sa coupe de cheveux ? Rien à dire. En fait, il n’avait pas le sac. Voilà, c’était ça ! Pas qu’il s’attendait au père noël, m’enfin bon quoi.
Et si ce type n’avait rien avoir avec le boudin ? Pire, s’il s’agissait d’un ennemi ? Cette notion d’ennemis le dérangeait d’ailleurs : de qui devait-on se méfier ? Cà, ça le mettait plutôt mal-à-l'aise. Mais c’est avec fierté qu’il constata son grand professionnalisme. Ha, mais on l’aurait pas comme ça notre Micka ! Pas tombé de la dernière plus, le gars !
Il se leva donc pour faire face à son interlocuteur et lui dit avec un détachement forcément contraint :

- Hum, hum. Au « club », on m’a dit que j’avais rendez-vous avec quelqu’un. Note que je sais pas trop qui t’es. T’es qui d’ailleurs ? Qui m’envois ? Je m’appelle comment ? Je viens d’où ?

La fin de phrase fut plus un mitraillement postillonnaire que des questions intelligiblement posées mais, ma foi, ce fut une affaire rondement bien menée.

"Ben j'viens de t'dire qu'j'suis ton frère. Ca t'suffit pas ?"

Le bonhomme afficha une légère moue, apparemment il n'avait peut-être pas bien fait d'aborder ce type - sans chaussures - qui si ça se trouvait, n'était pas du tout ce qu'il croyait. D'ailleurs l'autre parlait d'un "club" et Pack-de-Six n'avait pas le souvenir d'avoir jamais appartenu à un quelconque club. Bien trop huppé pour lui ce genre de truc.

"Bon t'as qu'à m'appeler Pack-de-Six, comme tout le monde. Je sais pas qui t'es, ni qui t'envoie mais je sais déjà que tu pues pas le Ver... et c'est déjà bon signe. Me regarde pas comme ça mon gars ! Je sais que t'es garou..."

Pack-de-Six cracha sur le trottoir et pris Micka par l'épaule, et l'entraîna un peu à l'écart, dans l'ombre de la grande cathédrale. En tant que Rongeur d'Os, il avait quelques petites choses à dire à son comparse. Les indics de Rat sont toujours au courant des nouvelles fraîches.

"Tu fais partie de ceux qui viennent de s'installer dans les bois à côté. Hé, c'est que ça à fait pas mal de bruit votre histoire. Ici à part nous et les amateurs de verroterie y a pas grand monde pour servir Gaïa, mais on se débrouille comme on peut. Je sais pas si c'est une bonne idée qu’a eu la Nation Garou d'envoyer tout ce monde, ça va faire des remous chez les sangsues et les danseurs... s'ils sont pas déjà au courant... "

En moins de deux, Micka avait eu trois bonnes nouvelles. La première, que le type devant lui était le bon. Plus vite il en aurait fini, plus vite il serait chez lui. La seconde, que d’après le zouave, on pouvait sentir les ennemis. Super, un problème en moins. La troisième enfin, qu’il pouvait y avoir des loups-garous sympas et pas prise de tête. Ou pas autoritaire et fumant le cigare. Bon à savoir.
Il tapa bruyamment sur la main de pack-de-six et lui dit :

- Salut mon frère, content de t’voir. Ouais, les choses sont plus claires maintenant. Mon p’tit nom à moi c’est Micka.

Le prenant à son tour par l'épaule, il lui glissa à l’oreille :

- Mon « autre » nom c’est Colosse-aux-dents-qui-broient. Mais j’aime pas trop le dire tout haut. On pourrait croire que j’me vente.

Enfin, reprenant une posture moins confidentielle, il repris tout haut :

- Alors, il est où ce paquet que je dois prendre ?

Pack-de-Six prit un air ébahi, les yeux dans le vague, la mouche à moitié ouverte. "Colosse-aux-dents-qui-broient " parlait d'un paquet, l'autre Rongeur d'Os se gratta la tempe avant de répondre.

"Heu... quel paquet mon frère ?"

- Ha, merde !

Micka n'avait pas tout compris. Encore. Il n'avait pas imaginé que deux événements aussi importants puissent arriver en même temps : sa mission et une rencontre avec un congénère. Cela l'ennuyait un peu : il aurait aimé en finir une bonne fois pour toute. Il avait envie de partir mais, bon, il attendrait 10 minutes de plus. Après, basta !
Il loucha sur Pack-de-Six et lui dit :

- Bon en fait j'ai un RDV avec quelqu'un. Une mission importante pour le clan et tout et tout. Mais chui content de te connaître mec. Si tu veux en attendant que l'autre se radine, on peut discutailler tous les deux, ok ?

Micka s'installa sur un banc et repris :

- Alors, c'est quoi Rongeur d'Os ? Et pis, les danseurs, j'imagine que c'est pas des mecs en collant qui t'attaquent sur du Mozart ? Si ? Non ?

Pack-de-Six était un peu embêté il aurait aimé être utile à ce jeune frère qui avait l'air plutôt sympathique. Il voulait accomplir sa mission au mieux, c'était bien ça. L'indics de Rat s'installa à son tour sur le banc et réprima un petit rire lorsque Micka lui décrit sa vision des Danseurs-de-la-Spirale-Noire.

"T'as vu Star Wars petit ? Et bien dans cette histoire si on peut dire que nous sommes des Jedi alors les Danseurs sont incontestablement les Sith. Tu vois le genre ? Ce sont des garous comme nous... enfin c'était. Maintenant ce sont des monstres difformes, galeux, bourrés de maladies... pire que nous ! Quoi merde ? Tu sais pas ce qu'on est nous ?"

Pack-de-Six ne manquait pas à sa réputation qui lui avait donné son nom. Il sortit de son baluchon quelques bières. Il en décapsula une et se mit à boire avidement avant de reprendre ses explications, avec encore de la mousse au coin de la bouche.

"Hmm ça fait du bien... t'en veux une ? Sers-toi vas-y. Tu serai un de ces aristos de Crocs d'Argent je t'aurai laissé crevé de soif, mais entre frères faut bien s'aider. Donc tu sais pas qu'est un Rongent-les-Os ? Tous les garous ne sont pas identiques, il existe différentes tribus qui sont actuellement au nombre de douze. Chacune a ses habitudes et ses petites petites spécialités. Par exemple, les Crocs d’Argent sont des putains de bourgeois, les Furies Noires des activistes du MLF, les Uktena des shamans hors-pair…"

La proposition royale d'une bonne p'tite mousse devant Notre-Dame avait fortement plu à Micka. Il écoutait attentivement le loup-garou lui exposer les différences entre lupins. Il n'aurait jamais soupçonné que les loups-garous pouvaient se diviser en temps de races. Il ne voyait pas pourquoi finalement : chez les chiens, il y avait bien caniches, bergers allemands, bouledogues et autre. Pourquoi pas chez nous.
Il s’envoya une nouvelle lampée de bière. Il ramena sa jambe contre lui et l’enserra avec son bras libre. Il y avait quelque chose qui le turlupinait tout de même :

- Didonc, au fait, y’a d’autres groupes que nous à Paname ? J’veux dire, tu m’as dit que vous étiez quelques uns ici. Ca veux dire que y’en a d’autre comme nous dans le coin, donc. On est nombreux ? Pourquoi on se rassemble pas tous ?

"... et il y a nous, les Rongeurs d'Os... nous..."

Pack-de-Six avala une gorgée de bière et éclata d'un rire gras.

"Nous sommes les plus puissants de tous, nous sommes ceux qui survivent à tout et qui attaquons sans pitié dans l’ombre. Beaucoup nous méprisent pour notre manque de raffinement, pour beaucoup nous sommes des bâtards, des chiens errants mais quand l’Apocalypse viendra seuls les Rongeurs d’Os seront encore là !"

Micka avait posé une deuxième question qui méritait également une réponse de la part d'un de ses frères de sang.

"Slurp! Ben tu vois petit, les villes n'ont jamais été des endroits très accueillants pour les garous en général, mais ça ne nous empêchait pas d'y avoir plusieurs caern. Seulement il y a presque dix ans de ça, on s'est fait méchamment botté les fesses par toutes les saloperies qui sont ici sur leur territoire, Les serviteurs du Ver et de la Tisseuse. Nos places fortes ont été pillés et rasés, nos totems se sont fait la malle et les garous ont déserté Paris. Mais malgré ça y a toujours eu des petits groupes de Rongeurs et de Marcheurs-sur-Verre pour assurer le service et surveiller ce qui se passait dans le patelin. Seulement aujourd’hui la Nation Garou et son foutu Haut Conseil de mes deux à décidé de mettre les pieds dans le plat en voulant reprendre Paris par la force… Dans l’absolu c’est peut être pas une si mauvaise idée mais… hey ! c'est pas parce qu'on est tous Garous qu'on a forcément la même opinion sur tout… repasse-moi une bibine s'te plait !"

- J’avoue que je comprends pas trop ce qui se passe avec leurs histoires, là : on nous donne des chefs, on nous balance qu’il faut sauver le monde. Note que ça me gonfle cette idée de me bagarrer contre des mecs si c’est perdu d’avance, mon pote. Et moi, je fais quoi ? Les courses. Pfff… Ca sens le pourri tout ça. Moi je joue pour gagner... Ou pas perdre en tout cas.

Micka se balança une dernière gorgée de bière et, ma foi, en décapsula une autre. Après une nouvelle rasade et un rot discret, il reprit :

- Après ça me fait pas peur de m’battre. Faut juste qu'on m’donne les moyens de faire. Comment vous luttez contre eux ? Des descentes comme les flics de miami ou quoi ? Parce que je sais pas trop si les petits nouveaux du coin savent ce qu’ils font. Faudrait peut-être leur dire, non ?

"C'est un combat quotidien, notre raison de vivre. C'est ça qui fait palpiter ta poitrine, c'est l'espoir et le sentiment du devoir accompli. Les jeunes dont tu parles se bagarrent peut-être pour l'instant parce qu'on leur demande, mais quand on connaît la Vérité, on sait alors que se battre est encore la meilleure chose à faire. On est pas comme ces chrétiens qui partaient en croisade parce qu'il croyaient, nous nous ne croyons pas, nous savons... "

Le Rongeur d'Os à présent totalement affalé sur son banc, la bière à la main, tendu vers le ciel marqua une pause. Il venait de se rappeler quelque chose:

"Ca me revient ! Tu cherches du matos ! des fétiches ! voilà c'est ça, ça me revient ! ah j'ai l'impression que ma caboche se transforme en passoire, je devrai peut être me calmer sur la bouteille... Pour le sac, 'faut voir ça avec ma cousine."

Micka resta un moment en rond de flan.

- Je cherche quoi moi ?... Ha, oui, la mission. Enfin, je veux dire LA mission...

Il se souleva la carcasse du banc, s'étira et visa la poubelle. La canette rata sa cible, continuant sa course sous un banc, entre les amples cuisses découvertes et blanches d'un allemand. Micka hésita. Il n'avait pas vraiment pris l'habitude de ramasser ce qu'il jetait. Néanmoins, maintenant qu'il était un protecteur de la terre et blablabla, faudrait faire attention. Gêné et se sentant observé, il se dirigea vers le lieu de sa forfaiture, plongea une main dans l'ombre du banc - effrayant le touriste teuton - et en extirpa une canette. Puis deux. Puis trois. Il se releva et confia ses trésors à l'appétit de la poubelle. Désormais, il essaierait de ne plus jamais jouer au basquet avec les ordures. Trop de conséquences. Pas pour la nature mais pour son amour-propre. Tout en rejoignant son compagnon de bière, il se demanda fugitivement si la Vérité passait par aider les balayeurs à nettoyer les rues ou si les loups garous étaient appelés à plus d’altitude. Il l’espérait tout de même. Cela le surpris d’ailleurs, lui, l’indécrottable indolent. La réflexion se perdit en atteignant Pack-de-Six. Il lui lança :

- Bon, ben, on y va quand tu veux.

"Ben tu matos. Des armes, des fringues dédiés, des gadgets..."

Pack-de-Six le Rongeur d'os avait sourit en voyant les talents de basketteur de... heu... ah oui, "Colosse-aux-dents-qui-broient". Il se leva et ajouta:

"C'est que ma cousine... une sacrée gonzesse hein, mais pas commode dans son genre. Tu veux pas y aller sans moi ? On s'est un peu brouillé la dernière fois, vu qu'elle te connais pas ça passera mieux si t'y vas seul. Non tu crois pas ? Bon d'accord suis-moi on devrait la trouver en cherchant dans ses petites rues. Attend une seconde..."

Le bonhomme leva la tête, se racla la gorge et poussa un long hurlement. Cela n'avait rien d'agressif ni d'effrayant, c'est comme un appel. Les quelques passants ne firent pas attention, ils avaient l'habitude des ivrognes faisant n'importe quoi après avoir ingurgité quelques litres de boissons diverses. Pourtant si jusqu'ici on pouvait émettre des doutes sur la nature lupine d'un homme tel que Pack-de-Six, il était à présent évident qu'il s'agissait d'un garou.

"C'est bon, allez ramène ta fraise le nouveau."

Gadget ? Ho oui, des gadgets avait pensé un Micka ravi, avant de se dire que ça pouvait être une blague et de rater assez lamentablement son tir.
Il s’approcha donc du loup-garou et l’observa pousser un hurlement. Cela eu un écho en lui. Quelque chose de cacher ; de bien bien cacher, en fait. Tout au fond de lui. Quelque chose de primal, de sauvage, quelque chose qu'il n'avait pas encore exprimé et qui n'attendait que peu de chose finalement pour surgir. D'ailleurs, il failli pousser un hurlement lui aussi. Mais encore trop jeune lupin et trop encré dans la société humaine - dans ce qu’elle a de plus policé en tout cas - il se reteint tout en observant, embarrassé, la populace les observer.
Il ramena donc sa fraise. Il posa tout de même une question :

- C’est quoi que tu lui as fait à ta cousine ?