Une Fiann en perdition

Maeve ayant échappé à ses compagnons de meute, elle se retrouva plus ou moins seule dans le caern. La tentation de retourner illico dans Paris intra muros afin de faire respecter les volontés funéraires de sa tante la tiraillait pas mal, mais elle désirait avant tout se mettre en règle aux yeux de sa nouvelle hiérarchie, c'est-à-dire d’aller dire à la vieille théurge que merci, on avait fait le boulot à sa place et risquait sa vie pour purifier sa foutue source – comme aurait dit Credna : « T’façon faut pas s’étonner, si on la fait pas bouillir l’eau, elle est pas franchement buvable, pas comme la bière ».

* I really get more and more bitter… Gotta find something to drink in here * Se dit-elle alors qu’elle atteignait… qu’elle atteignait… un endroit qui ne lui disait strictement rien.
Mais vraiment rien. Un peu comme si elle s’était perdue, en fait.
Et bien sûr aucune trace de la théurge…

Au bout d’une vingtaine de minutes de tourner-virer, la Fiann finit par jurer un bon coup et s’asseoir sur ce qui devait faire office de banc chez ces guerriers de Gaïa, c'est-à-dire un vieux tronc d’arbre. Le premier qui passerait par là avait intérêt à savoir où était Dahlia… En attendant, la rousse entreprit de s’allonger consciencieusement sur le tronc, épuisée.

Les paupières lourdes de la jeune Fiann se fermèrent doucement. Les bruits du caern lui parvinrent de plus en plus faiblement, jusqu'à ce que sa conscience décroche totalement et qu'elle ne s'envole dans un sommeil agité mais de longue haleine mérité.

Maeve ouvrit finalement les yeux. Le ciel était toujours le même, un ciel clair et sans tâche. Il n'y avait pas une once de vent, et les nuages suivaient leur course habituelle. Sauf que l'Irlandaise pouvait en être sure, les nuages n'avaient pas des formes aussi arrondies habituellement - un peu comme si un enfant de cinq ans particulièrement créatif les avait dessiné - et la voûte diurne n'avait pas des traces de coloriages inachevés sur les côtés, les autres jours.

" Alors, princesse, on pioncait ? "

La voix goguenarde qui ainsi parla à la Galliard ne put que la surprendre... Il s'agissait en effet de celle de sa tante. Credna se trouvait en effet là, debout, méchamment blessée et ensanglantée, mais vivante. Et elle souriait, observant de ses yeux sans faille sa nièce en plongée.

Maeve fit un bon de deux mètres en arrière et atterrit sur le coccyx, les yeux écarquillés.

« Auntie ?! »

Elle refusait d’y croire – et pourtant c’était bien elle. La même coupe à la militaire, les mêmes yeux d’un vert pur, les mêmes traits tirés et le même teint laiteux… les mêmes plaies aussi. Maeve cligna des yeux. Non, le « fantôme » ne disparaissait pas. Bon, ça n’était pas grave. De toute façon, comment avait-elle pu croire que sa tante était morte ? Credna était forte, Credna était une Arhoun ! Elle ne pouvait pas mourir.
Des larmes de joie piquèrent les yeux épuisés de la jeune fille, et se relevant, elle sauta sur la revenante.

« Ma tante ! »

]La jeune Fiann sauta donc et tenta de prendre dans ses bras Credna – mais tenta seulement, car ses bras ne prirent que le vide, et qu’elle alla pitoyablement s’écraser au sol, le visage face à un escargot géant dont on pouvait bien se demander ce qu’il foutait là.

Alors qu’elle reprenait contenance, son fantôme de tante s’esclaffa bruyamment à grands coups silencieux de claques spectrales sur ses cuisses ectoplasmiques.

« Non mais… Tu t’es vue ? Quelle cruche ! Tu crois que je suis revenue d’entre les morts pour tes beaux yeux ? »

Credna se raillait sans problème de sa nièce. C’était, de toute façon, un de leur plus fort signe de connivence.
Le spectre s’était retourné et fixait à nouveau la jeune fille.

« Je suis morte, et bien morte. D’ailleurs, c’est à ce propos que je suis venue te voir. » L’arhoun renifla, l’air jovial. La mort avait l’air d’être une franche marrade.
« Allez, relève toi miss, je suis pas venue que pour me payer ta tronche. » L’ancêtre attendit que sa nièce s’exécute en se grattant un bout d’os qui dépassait d’une plaie aux côtes particulièrement vilaine. Elle avait une réputation à tenir, non mais !
« Ca y est, remise de tes émotions ? Bon, dis-moi, tu n’aurais pas une bière qui traînerait par là ? »

L’irlandaise détailla sa cadette du regard puis soupira. Avec des haillons pareils, forcément…

« C’est pas grave… C’est que Gaïa n’aime pas franchement le whiskey, vois-tu. ‘fin, on va encore m’accuser de blasphème alors allons à l’essentiel : on a du te trouver une meute, nan ? Tu t’entends bien avec eux ? C’est qui, l’alpha, toi j’espère ? »

Malheureusement, la tentative de retrouvailles entamée par Maeve se solda par un échec, et elle atterrit lourdement sur le sol. Encore une chute. Aïe.
Mais le choc était certainement doublé par le fait qu’elle venait de *traverser* sa tante…

« Hein ?! »

Son cerveau se remit lentement du trouble, et elle réalisa que le fantôme lui parlait. Voire pire, lui posait des questions.

« Heu… » Fut sa première réponse. Puis elle secoua sa tête, se recoiffa et entreprit de formuler des sons articulés.
« Heu… Oui j’ai une meute, l’œil Foudroyant… Mais je ne les connais pas encore, on est 3 et un autre type pas encore rencontré. Et non c’est pas moi l’alpha, c’est un Griffe Rouge… » Marmonna-t-elle en sentant que ce n’était pas franchement les réponses attendues.

« Mais je me suis déjà battue deux fois, et nous avons tué deux monstres ! D’ailleurs j’en ai presque abattu un à moi toute seule, je l’aurais achevé si Croc, l’alpha, n’était pas arrivé… Et je suis devenue Cliath ! » Rajouta-t-elle, un peu plus fière.
Pourtant ses récents exploits guerriers ne signifiaient pas grand-chose, et elle le savait. Face à la carrière qu’avait eu Credna, ils n’étaient que broutilles, surtout qu’elle comptait bien qu’ils s’arrêtent là : déprimée et fatiguée, elle aurait aimé se réveiller de ce cauchemar.

« ‘fin je… je sais que c’est pas super mais je… »

Un nerf, dans un quelconque recoin de son cortex, craqua et une première larme vint mouiller sa joue.

« Mais je… je voudrais tellement comprendre… ce qui se passe… je suis perdue… ils t’ont attaquée… j’ai… rien pu faire… »

Une autre larme. Puis une autre. Encore une autre. Des tas et des tas. De vrais pleurs.

« J’suis tellement désolée, j’voulais tellement pas que tu meures, je t’aime trop, t’es ma seule famille… »

Même la plus bourrue des Fiann ne pouvait pas ne pas se laisser attendrir par ce touchant tableau d’amour familial. Pourtant Credna n’avait pas le temps de se laisser aller ni à des remontrances, ni à des consolations. Son passage sur terre était minuté, et elle n’avait aucune envie de le gâcher à écouter des jérémiades.

« Allons, allons. Un peu de tenue, jeune fille. »

En temps normal, elle aurait ajouté « ta pauvre mère ne t’a-t-elle donc rien appris ? », mais ce n’était pas totalement le genre d’humour que Maeve allait apprécier et elle le savait bien.

« Caaalme-toi. Voilà, comme ça, c’est bien. Ils ont dû t’appeler Vent-de-flamme, un truc comme ça, non ? Les esprits ont fait tout un chafouin sur ta tignasse… Pff… Bref. »

L’esprit fit une nouvelle pause, laissant le temps à sa nièce de se remettre un peu. Elle prit ensuite une voix plus grave et plus ferme, plus solennelle aussi.

« Honey, il y a un moyen de réparer ce que tu estimes être tes torts. Certes tu n’as pas pu empêcher ma mort et tu ne t’es pas encore hissée jusqu’au niveau de mes exploits, mais cela viendra. J’ai une mission pour toi. »

Maeve, une fois revenue de son trouble, leva des yeux rougis vers le spectre familial.
Un moyen de se racheter ? Elle ne demandait que ça. Comment pouvait-il en être autrement ? Elle ne voulait pas perdre à jamais l’honneur de sa famille, surtout que sa tante l’avait toujours fortement sermonnée là-dessus plusieurs fois et qu’il n’y a pas plus ennuyeux que le discours de quelqu’un qui n’est absolument pas convaincu parce qu’il dit. Hors de question qu’elle recommence.

« Je ferais tout ce que je pourrais, ma tante. »

« Je savais que je pouvais compter sur toi. » Répondit Credna de sa douce voix spectrale. Cette réponse semblait vraiment la satisfaire.

« Ta mission est simple, mais dangereuse. Il faut que tu m’enterres. » Expliqua-t-elle calmement.
« Et même si tu ne te sens pas de taille, je ne pense pas que tu aies vraiment le choix. »
La Fiann n’aimait pas trop secouer sa nièce, mais il était temps pour elle de faire ses griffes et de se frotter à l’ennemi. Qui plus est, l’idée que son cadavre et surtout sa Griffe de Fenris soient entre les mains de suppôts du Ver ne lui plaisait pas énormément.

« Allons, pas la peine de faire cette tête de cruche, s’il te plait. Je n’ai plus beaucoup de temps ici bas alors laisse moi t’expliquer… Mon corps se trouve quelque part dans Paris, il a sûrement été récupéré. Avec lui se trouve Fuilteach, mon arme… Bref. Il faut que tu me retrouves et me donnes une sépulture décente. C’est ma dernière volonté. »

Maeve cligna des yeux. Une fois. Deux fois.

Non, décidément, la connection entre les neurones A et A’ était définitivement rompue.

« T’enterrer ?! Mais comment ça ? Y faut… Y faut que je retrouve ton corps déjà, donc que je bute à moi TOUTE SEULE ceux qui t’ont butée – Fuck, tu me vois me les taper on my own ?! – et après il faut que je te trouve des pompes funèbres, y doit y avoir un machin légal – a certificate – et je lui sors quoi au toubib ? Bouffée par des loups en plein Paris ? Auntie, I just can’t ! »

C’était comme si on avait appuyé sur l’interrupteur. Brise-de-feu venait de se réveiller et de redescendre par la même sur terre. Et de réaliser la tache totalement suicidaire que sa tante voulait lui refourguer. Un peu comme quand elle devait aller voler le whisky au supermarché parce que madame avait la flemme de le payer ou lui soutenait qu’il devrait être gratuit pour les Irlandais – le genre de lubie totalement débile qui lui prenait.

« Auntie, no, I cannot ! Non mais tu imagines, t’as vu comme je suis ? Je sais pas me battre, j’ai rien, je sais même pas par où commencer ! Et t’imagines que les flics vont me laisser traîner dans la rue comme ça ? Non mais tu délires ! Tu parles que Gaïa aime pas le whiskey – t’es totalement bourrée ! »

Deux secondes de pause. Juste le temps de respirer.

« Mais vous êtes bien gentils, tous, là ! Et va te battre contre le Ver, et machin, et truc, et fais ci, et fais ça, et bordel j’ai rien demandé moi ! J’ai des études, des projets en cours, je vais pas sacrifier ma vie for a cause you always called lost ! Non mais faut arrêter le délire, t’as bien vécu toute ta vie sans qu’ils te fassent chier, je vois pas pourquoi est-ce que JE me foulerais ! Et pour ton corps, t’as qu’a appeler tes potes surentraînés, merde ! »

Credna respira une fois. Deux fois.

Nan, le dernier neurone épargné par l’alcool et la mort refusait de remuer ses petits synapses.

« Mais bordel, tu cannot, tu cannot, you’re gonna see if you cannot ! C’est pas vrai ça ! On te dit que t’as pas le choix alors shut the fuck up et fais ce qu’on te dit ! Rah je rêve, tu sais que j’ai tout quitté pour ça, pour protéger une gamine que son abruti de père était pas foutu de différencier d’une autre ! Et je peux même pas demander une sépulture décente POUR MON CADAVRE ?! Ne serait-ce qu’un putain de trou dans leur putain de forêt même pas dans ma terre natale ?! ET TU OSES TE LA RAMENER AVEC TES « J’AI PAS CHOISI » ? TU CROIS QUE J’AVAIS CHOISI, MOI ?! »

L’ancêtre hurlait, et heureusement pour Maeve que ses postillons étaient aussi spectraux que le reste. La fureur de l’Arhoun était, elle, palpable ; heureusement, sa dernière phrase, sûrement retenue depuis longtemps au fond de son petit esprit, semblait l’avoir calmée.

« Ecoute », reprit-elle, la voix rauque, « je dois partir. Je ne pense pas pouvoir revenir, alors, ma nièce chérie, adieu. Tu vas retrouver mon corps et mon épée, qui te revient de droit, je te fais confiance là-dessus. Trois conseils, avant de rejoindre ta maman : en cas de doute, fie-toi à Licorne, car c’est un esprit bienveillant et protecteur qui t’a pris sous son aile. Elle ne te laissera pas tomber. En suite, évite la solitude, je n’ai pas dis que tu devais y aller on your own. Trouve toi un ou deux pignouf expérimentés pour t’accompagner, mais quelqu’un en qui tu puisses faire confiance : si tu n’as pas choisis tes compagnons de meute, crois-moi, tu n’as pas grand-chose à leur demander. Ah, et, dernièrement : ton cœur est ton meilleur conseiller, mais lui aussi peut se tromper. En dernier recours, trust the wolf. »

Le spectre sembla s’évanouir dans l’air et tout devient flou. Une sensation de vertige insurmontable s’empara de Maeve et la força à se coucher au sol.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, tout était redevenu normal.

Maeve cligna des yeux, interdite. Elle se releva sur les coudes. Visiblement, son « rêve » l’avait laissée couchée sur le dos, à terre, entre deux touffes d’herbes. Ses haillons étaient encore plus crottés qu’avant et ses cheveux ne devaient plus représentés qu’une masse compacte et grasse de nœuds entremêlés. Pas franchement la grande classe, mais plutôt représentatif de son état psychique. Elle avait envie de pleurer.

La Fiann s’assit et se frotta le visage. Sa tante était venue la visiter. Sa tante était venue d’entre les morts pour lui parler et pour lui formuler ses dernières volontés. Et elle, elle l’avait envoyée paître.

* Je suis vraiment la dernière des imbéciles. * Songea-t-elle en s’étirant. Elle avait l’impression d’avoir dormi… assez longtemps et d’avoir perdu dans son sommeil tous ses repères. Quelle heure était-il, quel jour ? Elle n’en savait rien.

La jeune fille soupira. Il lui fallait accomplir la quête donnée par son ancêtre, c’était certain. Mais comment ? Paris était une ville immense et elle ne retrouverait jamais ceux qui avaient tué Credna. Qui plus est, si tenté qu’elle les retrouvait, il fallait encore qu’elle leur arrache le cadavre – s’il était toujours en un seul morceau – et certainement plus dur, qu’elle leur reprenne l’épée de sa tata. Mais tout s’était passé si vite, elle se souvenait si mal… Il y avait juste eu le choc de la voir blessée, puis la transformation et après, trou noir… L’image suivante, c’était cette bestiole horrible sur les quais.

Non, ça n’allait franchement pas être de la rigolade. Mais elle allait y arriver. Et en premier lieu, elle allait suivre le premier conseil de sa tante, et s’en remettre à son esprit. Licorne… Elle croyait avoir aperçu une licorne, pendant son combat, mais c’était sûrement un reflet d’optique quelconque. Une personne qui pourrait l’aider et la conseiller serait probablement la vieille garou, la « théurge » qui leur avait confié la mission de la rivière polluée. Il fallait donc la retrouver et lui demander de la mettre en relation avec Licorne. Si l’esprit était vraiment bienveillant, il l’aiderait.

Ensuite, il fallait absolument qu’elle retourne à son appartement. Déjà, elle avait besoin d’une bonne douche, d’un repas chaud et d’une nuit de sommeil. Dans ces conditions-là seulement, elle pourrait réfléchir. Il lui faudrait sûrement se renseigner auprès d’autres garous… enquêter, retourner sur la « scène du crime »… chercher les réseaux, peut-être, pour l’épée, les antiquaires…

* Et chu même pas majeure… Ma pauvre amie, t’es pas dans la merde… *

La Galliard finit par se relever complètement. Il lui fallait trouver la théurge, pour commencer.

[ -> direction la caverne de Dalhia quand elle aura finit de s’occuper de Nick ^^]