Un chien dans un jeu de quilles

Micka émargea enfin. Des bruits au loin l’avaient sorti de son sommeil. Il s’étira, se leva, épousseta son pantalon et se mis au devoir de découvrir où il se trouvait. Il regarda à droite, puis à gauche. Non décidemment, il n’était jamais venu dans ce squat-là. A y réfléchir, l’endroit ressemblait peu à un squat mais plutôt à… à… :
- Une grotte ?
Sa voix éraillée le surpris. Il regarda de nouveau autour de lui de peur d’avoir alerté quelqu’un. Pourquoi aurait-il été effrayé au fait ?
Non, y’avait quelque chose de pas clair clair. Pas parce qu’il était dans un lieu inconnu. Plutôt parce que le bas de son pantalon était sale et déchiré, parce que sa chemise puait et n'avait plus de boutons, parce que ces chaussures et chaussettes avaient disparu et parce que son haleine fétide n’avait pas que des relents d’alcool. Il se rassit.
Il y a longtemps, quand il avait 14 ans, il s’était promis, à l’issu d’une cuite mémorable et un trou de 8 heures dans sa vie que jamais, même sous l’influence de l’alcool, il n’oublierait. Donc, il se mit en quête de son histoire, entre le départ de chez lui et son réveil ce matin.
Il était donc arrivé à la fête, avait taillé la bavette à les potes – « hey les mecs ? Vous avez vu les gonz ? Ho, hé il est où l’alcool ? » -, avait tenté de séduire Natacha – « Avec un prénom pareil, tu ne peux être qu’à moi, mon chou » « Ha, ouais ? C’est comme ça que tu dragues toi ? Ben mon lourd… Tiens, fait-moi plaisir : va t’acheter un dico » -, Annie – « Ha t’es là beauté ? » « Non, c’est ma sœur jumelle. Moi je suis sur l’autoroute. Tu veux pas aller voir si j’y suis ? » - et bien d’autre, il était sorti prendre un bon bol d’air. Il faut dire que depuis un instant il n’allait pas vraiment bien. Il discutait tranquillement avec Sylvie – « non, j’veux dire… tu veux bien ? » « Ben oui ! Ca a l’air de te surprendre qu’une fille veuille bien prendre un verre avec toi ! » –, quand il avait eu des haut-le-cœur qui avaient définitivement tâchés la jolie robe jaune de la jeune fille. Il s’était donc rendu seul dehors humer un peu l’air du quartier. Ces chaussures lui faisaient mal. Très mal. Il s’était déchaussé constatant que des touffes de poils ornaient désormais ses longs mollets. Et si ce n’était que ça ! Il se rendait peu à peu compte que son état d’écœurement provenait de son odorat. Les relents d’alcool, les corps trop savonnés et parfumés, la fumée… Tout cela avait provoqué des nausées. Pourtant ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait dans une atmosphère pareille, loin de là. Ce soir là ça n’avait pas été. Il avait été était nerveux, impatient, un peu perdu aussi. Seul dans la noirceur de la nuit, il s’était demandé s’il n’avait pas été drogué. Comme ces filles qui se faisaient piéger par des mecs dans des boîtes… Nan, pas possible, il n’avait presque rien bu. Un sentiment de peur l’avait étreint et il s’était mis à courir loin de l’agitation. C’est à ce stade que l’histoire se concluait. Puis commençait le rêve. Il s’était transformé en bête poilue. Grande, dégingandée encore un peu blonde, mais poilue, pourvue de longues griffes qui crissaient sur le sol à chaque fois qu’il dérapait sur l’asphalte de la cité à la poursuite d’un chat ou d’une souris. Sa chemise avait alors craqué, ces chaussettes avaient disparu et le bas de son pantalon s’était craquelé lorsque des cuisses gigantesques avaient remplacé les siennes. Il avait joyeusement écumé toutes les poubelles du quartier trouvant ici et là des résidus de bouffe déposés bien trop tôt à son goût dans les bennes ou exhalant une séduisante pourriture. Puis, deux êtres surgis de nul part l’avait attrapé. Il s’était plus ou moins débattu mais avait trouvé ses maîtres. On l’avait mené dans cette grotte pour une histoire de rituel ou un truc comme ça. Cette partie était un peu embrouillée mais bon, ma foi…
Cette grotte ?
- Merde, susurra-t’il.
Un rêve, hein ? En était-il si sûr ? Maintenant qu’il reconnaissait les murs sales de cette nuit, non il n’en était plus très sûr. Et s’il s’agissait de mecs qui lui avaient fait des trucs pas… comment dire… des trucs pas trop catholiques ? Des mecs qui l’auraient coincé après avoir versé quelque chose dans son verre le soir même. Ouais, ça se tenait bien ça ! Il fallait en tout cas qu’il se procure le truc le plus vite possible : c’était trop de la balle ce produit. Il avait bien kiffé la transformation en loup.
En attendant il lui fallait filer le plus vite possible. Il se demandait s’il était seul dans l’endroit mais ne tenait pas trop à le vérifier. N’avait-il pas entendu des aboiements et des grognements non loin de là ? Bon, peu importe, il lui fallait filer.
Il se leva, serra pudiquement son pantalon pour qu’il ne glisse pas sur ses mollets et se mis en quête d’une sortie...

"Tu cherches quelque chose ?"

La voix était venu de derrière Micka. Après ce qu'il s'était passé avec les précédents louveteaux on avait préféré ne pas laisser les nouveaux venus sans surveillance. Les premiers moments au Caern sont toujours délicats pour un jeune garou. Il doit décourvir sa nouvelle famille qui à première vue n'a rien de symapthique et accepter sa nouvelle condition. Le jeune garou doit resister à l'idée de fuir, il est trop précieux pour les siens.
C'était un Arpenteur Silencieux, d'un âge visiblement avancé qui avait été chargé pour l'instant de veiller sur Micka. L'Arpenteur arborait sa forme crinos, en espérant ne pas trop effrayer le louveteaux. Son corps était maigre mais ne semblait pas pour autant faible. Il reposa sa question:

"Tu cherches quelque chose ?"

Dans le monde, il y a ceux qui doutent par habitude, d’autres par conviction. Et quoiqu’on en pense, douter par habitude est pire que par conviction. Être convaincu d’une chose amène à opposer cette chose à une situation ou un fait. Une conviction est un bouclier protégeant indifféremment de la vérité ou du mensonge. Et comme tous les boucliers, elle peut s’ébrécher. Par contre, l’habitude ne peut être ébréchée car elle ne repose sur rien : ni conviction, ni philosophie, ni pensées un tant soit peu conflictuelles. Non, l’habitude est un corps mou qui absorbe tout. C’est l’antagonisme même de l’observation, car il est toujours plus reposant de fermer les yeux plutôt que de faire face.
En voyant la créature devant lui, Micka ne douta plus de la véracité de son "rêve". Certes, un léger voile de conviction qu'une telle chose ne pouvait exister s’était dressé face à la vision de l’homme-bête ; mais il avait explosé lorsque celui-ci lui avait parlé. Non, tu n’es pas drogué. Non, tu n’es pas fou. Non, tu n’es pas en face d’un mec déguisé en... quoi d'ailleurs ? Le souvenir fugace de sa soirée l'éffleura et, presque malgré lui, les mots "chien" et "loup" s'imposèrent. Là, il s’agissait de nouvelles convictions qui faisaient place nette dans son cerveau. Comme il était plus doux de penser comme cela ! Plus facile aussi. Et en matière de facilité, le jeune-homme se posait en maître. Et puis il y avait autre chose : l’odeur. Bizarrement, il reconnaissait cette créature. Par l’odeur. Bon dieu de bordel de…
- Tu cherches quelque chose ? recommença la créature.
Cette fois-ci, il sursauta. Il devait répondre quelque chose. Mais la seule chose qu’il extirpa de son gosier fut un petit sifflement puis une évidence qui le terrassa sur place.
- La… la sortie ?…
Gêné, il redressa maladroitement son pantalon.

Le garde Arpenteur fronça les sourcils. Habitué à revêtir sa forme guerrière - qui à vrai dire était sa favorite - il n'avait pas imaginé un seul instant que son apparence puisse choquer qui que ce soit et il se demandait ce qu'avait ce nouveau venu à afficher ce visage ébahi qui lui donnait un air débile.

"Tu réfléchis trop mon gars, pour l'instant on te demande surtout de pas trop poser de question et de faire ce qu'on te demande."

On qualifie souvent les garous de rustres sous prétextes qu'il combattent sous une forme animale et ont à rapport particulier avec la Nature. Cependant beaucoup sont des être qui savent faire preuve de sagesse et apprécient les idéeaux élévés. En revanche il fallait bien admettre que ce garde ,Ahroun qui plus est, allait faire goûter à Micka le comportement bestiale que l'on peut reprocher aux métamorphes. Il poussa le jeune Ragabash sans ménagement en direction d'une autre gallerie.

" Pour toi la sortie c'est par là ! Allez avance petit Sans Lune ! "

A la façon dont l’homme bête répondit à sa question, il comprit qu’il n’avait pas intérêt à faire le malin. Enfin, à un moment donné, ça serait bien plus fort que lui. Mais pour le moment, l’opération "je vous aime et je fais tout ce que vous dites" était de rigueur. Mais il y avait quand même quelque chose qu’il avait du mal à avaler. Son nouveau petit surnom donné à l’emporte-pièce par une chose aussi délicate qu’une pierre ponce sur une peau nue. "Petit sans lune". Pas trop son trip ça, le langage apache. A coup sûr, il était dans une secte. Il regarda de nouveau la chose. Non, en fait, il était dans un truc qui le dépassait complètement. Secte ? Et puis quoi encore ?
Il s’avança donc dans la direction indiquée, se demandant si d’autres mecs comme cette chose traînaient dans les environs. Mais plus il avançait, plus il se rendait compte de la triste réalité. Oui, il se pouvait bien que d'autre mec comme ce machin traine dans les environs. Lui par exemple. Avec amertume et inquiétude, il se rappela l’épisode de hier soir. Ses souvenirs se cristallisèrent autour de l'épisode des poubelles. Qu’avait-il bien pu manger dans ces fichues poubelles ? Et surtout pourquoi faisait t'l cette fixette sur les poubelles. Etait-ce bien le moment ? Il espérait tout de même que personnes ne l'avaient vu faire le con dans les bennes à ordure du quartier. Quoique d'après ces quelques souvenirs, il n'était pas franchement le même, physiquement parlant. Donc, pour le reconnaître, ben bon courage. Tout en surveillant ces arrières - on ne sait jamais - il regardait à droite et à gauche son environnement. L’ambiance des grottes et sa situation le déroutait complètement. En ce moment même, il pouvait être partout dans ce monde. Tiens, il pouvait même être mort et conduit par le chien des enfers. Comment qui s’appelait encore c’uilà. Mercedès ? Xeres ? Ouais, un truc comme ça.

- Heu, on est où au fait ?

La question qu’il voulait poser était en fait "on est toujours en France ?". La sentant stupide et percevant son interlocuteur plutôt caractériel, il avait posé une question qu’il espérait neutre.

Le garou ne répondit pas à la question, il n'avait aucune envie de s'occuper de ce jeunôt. Il devait y avoir une assemblée et qui disait assemblée disait festin autour d'un grand feu. Le Marcheur était plutôt d'humeur à aller "inspecter" la fraîcheur des mets que de répondre aux question d'un louveteau. C'était un boulot de philodox ça.

"Allez va au bout de ce couloir, tu trouveras l'armurerie et quelqu'un qui sera ravi de jouer les baby-sitter."

Sur ce, le garou s'éloigna sans demander son reste en ricanant à la tête que ferait ce cher Minos une fois qu'il aurait ce petit Rongeur sur les bras.

Le gros machin l’avait enfin lâché. Il regarda rapidement s’il n’avait pas emporté avec lui un morceau de bras ou de jambes. Non, tout était là. Il soupira de soulagement. Il était vivant. Ceci dit, il n’en avait pas vraiment douté. M’enfin, bon, la confiance c’est bien. La réalité, c’est mieux. Et puis, maintenant il en avait raz le bonbon. Il souhaitait partir pour réfléchir un peu. Rentrer à la maison. Il fit un pas vers la direction opposée à celle indiquée par la bête. Et puis finalement…Rha !
Il ragea. Combien de fois avait-il constaté et dénigré le comportement systématique du personnage de film d’horreur qui se doit toujours prendre LA mauvaise décision. Il ne fallait pas franchir une porte interdite ? Ne pas ouvrir ce paquet ? Ne pas suivre cette personne ? Ne pas vérifier d’où venait ce bruit super étrange ? Non, bien sûr ! Le personnage de film d’horreur, lui, ne perdait jamais l’occasion de faire tout ce que tout être un minimum sensé ne ferait pas. Déplorable.
Mais maintenant ça y était, il comprenait ce qui poussait tous ces personnages de fictions vers leur funeste destin : une insatiable curiosité. Celle qui vous prend aux mollets et vous fait avancer. D’une démarche tremblotante, certes. Mais vous fait quand même clopiner droit dans la gueule du loup. Et ce n’était pas peu dire en pareilles circonstances.

- Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n'y pas... chantonna-t'il.

Il frappa à la porte et poussa sans attendre une éventuelle réponse...

==> ARMURERIE