Chapitre 2 : "Suivre la piste"

Maeve Brise-de-Feu, Crocs-de-Lumière, et Rêveur6-des-Prairies suivaient donc la rivière. A part des arbres, des feuilles et des caillours ils n'avaient rien croisé de particulier. Le jour commençait à se lever, on entendait le chant des oiseaux qui s'envolaient à l'approche des trois prédateurs.

La rivière coulait paisiblement, innocente. Plus qu'à l'ego de Crocs-de-Lumière, cette polution était une atteinte et au Caern, mais surtout à Gaïa. Il fallait trouver la source de cette corruption et l'éradiquer au plus vite.
Crocs-de-Lumière et Maeve étaient à une distance raisonnable de Rêveur-des-Prairies, mais ils restaient suffisament près pour garder sa trace odorante. Le Cliath portait la jeune fille sur son dos, cela faisait très "Remake du petit chaperon rouge", mais de cela ils s'en fichaient. La mission devait être une réussite totale, le plus de discrétion et d'efficacité possible. L'alpha de sa meute releva la tête et s'adressa à Brise-de-Feu:

"Dis, j'ai vu que tu avais mal pris le fait que je donne les règles de la meute tout à l'heure. C'est pour notre bien que je disais ça, tu sais. Je ne me considère pas supérieur à vous, crois-moi..."

Il est vrai que la réaction de Maeve l'avait un peu refroidi, avant l'accident, il n'avait pas vraiment l'habitude qu'on discute son autorité et tout cela était nouveau pour lui; il n'avait plus des loups en face de lui, mais des frères Garous.

L’étrange duo poursuivait donc sa route. Maeve restait songeuse. Elle repensait à son combat contre le Fomor : elle avait eu quelques difficultés, mais avec la force de frappe de Crocs, l’ennemi ne ferait pas long feu. Par contre, Rêveur-des-Prairies lui paraissait moins combatif. Oh c’était un Garou et un humain normal ne tiendrait pas une minute contre lui, mais il avait l’air moins préparé à la bagarre.

* Duh, you weren’t prepared either… *

L’hispo la sortit de ses réflexions. Brise-de-Feu ne put s’empêcher de sourire en l’écoutant. Ca n’était pas un sourire moqueur, plutôt amusé. Mieux valait en effet régler le problème lorsqu’ils étaient tous les deux seuls.

« Je ne l’ai pas mal pris… Mais nous sommes des homidés, tu vois, et nous n’avons pas l’habitude des ordres. Nous n’avons pas de chefs directs, nous obéissons bien sûr à nos parents, nos professeurs, nos supérieurs… Mais il n’y a pas vraiment de chef pour nous dire que nous allons faire ça, ça et ça sans discuter, tu comprends ? Pour ma défense, je peux ajouter que j’ai été élevée par la plus insoumise et la plus forte-tête de toutes les Garous que Gaïa a enfantée. »

La Fiann parlait d’un ton léger, en se penchant pour éviter les branches les plus basses. Elle préférait garder sa légère rancœur en elle-même : elle ne comprenait pas pourquoi Crocs et pas elle – alors qu’elle avait combattu le Fomor plus longtemps que lui. Mais d’un autre côté… Les Anciens devaient avoir leurs raisons.

« Tu dois t’attendre à ce genre d’attitude, je pense. Je ne sais pas comment ça se passait chez les loups, mais si je vois que tu es un mauvais chef et que tu mets en péril la meute, le caern, ou quoique ce soit… je n’hésiterai pas à te le dire. Mais je fais confiance à Grand-mère Dahlia et je suis sûre que son choix sera approuvé par les faits. »

Au moins, l'Ahroun était-il prévenu.

« Et si tu me parlais plutôt de ta tribu, non ? Comment vivez-vous, chez les loups ? »

"Et si tu me parlais plutôt de ta tribu, non ? Comment vivez-vous, chez les loups ? "

Brise-de-Feu avait décidé d'en apprendre plus sur les coutumes lupines, cela réjouit Crocs-de-Lumière. En effet, personne ou peu de gens s'intéressaient réellement aux loups, ces créatures vivant en meute et près des forêts. Le Cliath fut satisfait de la réponse de celle qu'il avait sur le dos, il ne regrettait pour rien au monde de n'avoir pas vécu parmi les humains, pire il les plaignait. Ils vivaient donc sans réelle hiérarchie, tout au plus les parents qui se contentaient de diriger leur vie durant quelques années, mais personne de réellement sage pour apporter les idées à la tribu...

"Chez nous, le chef n'est pas choisi au hasard, c'est le mâle dominant qui remporte les duels face aux autres prétendants qui devient celui qui dirige la meute. Notre façon de vivre n'est pas si éloignée de ce que tu as pu voir parmi les autres garous cette nuit, nous vivons en meute, la communauté nous permet de pouvoir chasser facilement. Plus nous sommes nombreux, plus nous avons de grosses proies, par ailleurs nous possèdons une hiérarchie basée sur la dominance: lorsqu’un loup de rang supérieur a un désaccord avec un loup de rang inférieur, généralement le loup de rang inférieur cède sans se battre...."

« C’est en effet très différend de chez nous. Les humains existent comme des individus à part entière, parce que la société est organisée et basée sur les choix individuels… Enfin, ça n’a pas toujours été comme ça et ça ne l’est pas partout… »

Expliquer les concepts de démocratie et de république à un loup allait s’avérer chose malaisée, mais Maeve n’en démordrait pas. La meute ne pourrait être efficace que si tous les membres se comprenaient un minimum et toléraient leurs différences.
Déjà, elle se ferait un plaisir, lorsqu’elle en aurait le temps, de faire rentrer dans la tête du Griffe Rouge le concept de « femelle dominante ».

« Ce que je veux dire, c’est qu’un humain possédant un travail et un appartement peut survivre. Nous n’avons pas besoin de vivre en meute. Mais… Tu dis que le rang inférieur cède devant le rang supérieur. Mais si le reste de la meute sait que le rang supérieur a tort, que se passera-t-il ? Est-ce que vous allez le, heu, descendre dans la hiérarchie par un duel ou ce genre de chose ? Ou alors tout le monde va s’écraser parce que c’est le chef et appliquer sa mauvaise décision ? »

Crocs-de-Lumière tentait d'expliquer les préceptes des loups à Brise-de-Feu, heureusement elle n'était pas trop étroite d'esprit, si bien qu'elle comprenait que l'on puisse très bien vivre ici. La question qu'elle posa turlupina l'esprit du Cliath:

"Chez nous, il n'y a pas de tort ou de raison, le chef de meute prend toujours les bonnes décisions et personne ne les conteste. Toutefois lorsqu'il n'est plus digne de diriger la tribu, souvent à cause d'un âge avancé, un mâle dominant le combat et le premier qui le vainc devient l'alpha de sa meute. Il faut bien que tu comprennes qu'une décision est bonne ou mauvaise selon les points de vue, cependant un alpha ne mettra jamais sa meute en danger, sauf s'il y est contraint..."

Puis Crocs-de-Lumière revint sur un mot qui l'avait apostrophé:

"Un appartement? C'est quoi? Comme une Ville?"

La question du lupus découragea un peu plus Brise-de-Feu. C’était tout un monde qu’il fallait lui résumer… Leur première visite en ville risquait d’être beaucoup plus drôle que prévu. Mais elle aurait été certainement toute aussi perdue si on l’avait lâchée en pleine forêt dans une meute de loup – à la différence près qu’elle était déjà allée en forêt.

« Un appartement, c’est une habitation. Les humains vivent dans des constructions en dur, hors-sol, regroupées dans des villes avec les magasins – là où tu achètes la nourriture, les vêtements, tout ce dont tu as besoin – les services, comme les docteurs ou l’administration… J’imagine que tu ne sais pas non plus ce qu’est une voiture, un métier, un agent de police ou une mairie ? »

Son ton n’était jamais moqueur, plutôt désireux de lui en apprendre le plus possible, afin, entre autres, de lui éviter un maximum de bourdes lorsqu’ils seraient en ville.
La précision sur le rôle de l’alpha chez les loups, par contre, l’avait un peu refroidie. Si le chef d’une meute était celui qui tapait le plus fort, elle allait devoir jouer serré en cas de problèmes et gagner rapidement la confiance de Crocs. Son instinct lui disait que l’absence de connaissance sur la société humaine de celui-ci aurait quelques conséquences des plus… « folkloriques ».

Crocs-de-Lumière y mettait toute sa volonté, pourtant, ce monde restait très obscure pour lui et il faudrait sûrement beaucoup de courage à Brise-de-Feu pour lui enseigner tout ce qu'est l'humanité.
Elle sentait néanmoins dans le ton agréable de la jeune fille, qu'elle y prenait un certain plaisir éduquer ce loup, de la manière dont on éduque son enfant, pour éviter qu'il ne fasse des bêtises en permanence:

"Non, tout ceci, je ne connais pas. Ce sont des produits de vos Villes, tout cela reste un grand flou pour moi, mais je ne demande qu'à apprendre."

Soudain, l'Alpha de la meute s'arrêta en route et toussota:

"Pouah!! Cette odeur, cette odeur putréfiante... C'est vraiment, on approche de la Ville, ça se sent!! La voilà, la véritable pollution: la Ville!!"

Crocs-de-Lumière faisait part de cette odeur qu'il avait été le seul à détecter, les deux autres étant habitué à cette corruption, la proximité du loup avec Gaïa lui permettait de sentir les oeuvres humaines, bien avant les autres...

Maeve réfléchissait. Elle ne savait pas comment expliquer la société humaine à Crocs – cela lui paraissait si simple, pour elle qui avait toujours vécu une vie citadine. Il allait falloir lui résumer l’histoire de l’humanité, qui n’avait pas eu que des mauvais côtés… Bien que Garou, Brise-de-Feu se sentait encore profondément humaine et ne comptait pas renier cette part de sa personnalité. Accepter son côté lupin serait autre chose…

La réaction de son alpha ne la surprit pas trop. C’était à prévoir : elle ne distinguait rien, y étant habituée, mais les capteurs olfactifs du loup devaient être au supplice.

« Non… » Répondit-elle d’une voix douce. « La ville n’est pas une pollution. Sans ville, l’humain ne peut pas survivre. Tous comme les loups, nous avons besoin de vivre ensemble… Il n’y a pas que des mauvais côtés à la ville et à l’humanité. Sans le Ver, nous ne serions pas ainsi… »

* Dur de défendre son camp quand on vient de passer dans l’armée adverse… * Songea-t-elle en essayant tout de même de renifler une odeur particulière.

Malheureusement ou heureusement pour Rêveur-des-Prairies, la petite ballade dans les bois de Fontainebleau s'était déroulée sans encombre. Le petit groupe avait toujours suivit le cours de la rivière et au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient de la ville, les garous pouvait constater avec désolation que l'eau se faisait de moins en moins limpide, d'une couleur brunâtre, avec par endroit des plaques d'un dépôt non identifié qui se déplaçaient au rythme des flots.
Encore quelques mètres et on pouvait voir que le ruisseau ne prenait pas sa source en pleine montagne mais sortait d'une sorte de gros cylindre en béton.
Là les bois prenaient fin, après les arbres il y avait la route, et après la route il y avait une immense clôture grillagée. Bienvenue dans le monde des hommes...

[Suite dans la Zone Industrielle]