Chapitre 2 "Rue de la Roquette"

Sethrus sortit du métro et ne put s'empêcher de laisser s'échapper un bâillement sonore. Bon dieu, il faisait déjà jour, la nuit avait été courte. Le Rongeur d'Os connaissait un peu le quartier, il regarda à droite à gauche, vieille habitude de surveiller ses arrières. Mais les quidams qui peuplaient le coin n'avaient rien de très menaçant.

"Bon Murphy c'est par où chez toi ? qu'on en finisse..."

Seth’ le montrait, il avait envie que cette mission se déroule, vite et sans accroc, de façon à passer rapidement à autre chose.

peut etre était ce par pur amusement, Murphy se permit une remarque.

"personellement, j'ai des crocs pires que ceux de Zago. j'ai pas bouffé depuis que je suis arrivé au caern et ça commence à dater."

le Fianna habitait à deux rues de là, le passage serait bref. en lui, Murphy ne put s'empecher de se dire que c'était peut etre la dernière fois qu'il venait ici en tant que "Murphy". il voulait profiter encore un peu de cette vie fugace qui avait été la sienne et qui agonisait désormais entre les crocs d'un loup garou.

ce quartier représentait beaucoup pour le galliard. ses premiers concerts, ses premiers potes, premières conquêtes, et surtout... surtout... son premier kebab. un désir incommensurable d'un bon gros doner kebab se fit sentir. la mission et Sethrus pouvaient bien attendre un peu.

"y'a un resto particulier qui vous branche? je me ferais bien la spécialité du coin!"

" Bon d’accord moi aussi j’ai les crocs, il dois bien y avoir un grec ou une sandwicherie dans le coin…Je vais acheter ça et pendant ce temps vous avez qu’à aller chercher ce dont vous avez besoin. Lily tu vas avec Murphy ? "

Tout en fouillant dans ses poches dans l'espoir d'y trouver suffisament d'argent, Seth' partit donc à la recherche d'un endroit où il pourrait trouver quelque chose à manger pour lui et ses compagnons de meute. Il se retourna et les interpella une dernière fois.

"On se retrouve ici dans dix minutes, j'aimerai vous parler de quelque chose après ça."

"tu ne seras pas revenu dans dix minutes!"

Murphy jeta à Sethrus un objet que ce dernier attrapa au vol. un portefeuille. plutot épais. le Fianna adressa un clin d'oeil au Rongeur d'Os.

"quand j'ai faim, je fais pas semblant! au fait, c'est moi qui invite, l'argent me brule les doigts."

alors laissant là leur acolyte, le Fianna et la Furie Noire s'enfoncèrent dans les petites rues de Bastille. lorsque Murphy passait devant un lieu qui lui rappellait quelques anecdotes, il ne pouvait s'empecher de les narrer à la jeune femme. bien sur, il évitait tant que possible de raconter toutes les embrouilles et les galères qu'il avait connu ici et qui l'avaient changé à jamais.

devant l'opéra le Galliard salua quelques trainards qui usaient leurs pantalons sur les marches du majestueux édifice.

ici Murphy revivait, c'était chez lui, son domaine, ses terres, ses vassaux. un sourire cloué au visage il parlait, de tout et de rien. Lily devait surtout se dire de rien, s'imagina le jeune garou, mais il avait besoin d'oublier un temps tout ce qu'il avait assimilé en si peu de temps. revoir encore un peu ce monde si matérialiste.

à force de déhambuler, ils arrivèrent face à la grille d'une résidence à l'architecture vieille d'un siècle, peu etre plus. Murphy y pénétra sans hésiter, tenant la lourde porte en fonte à la Furie. dans la cour tronait une fontaine, le fracas de l'eau emplissant le lieu. c'était une fontaine bien humble, mais il suffisait de s'assoir là, sur son rebord, protégé par les silhouettes des arbres l'encadrant, pour qu'une étrange sérénité vous prenne et vous délaisse de vos soucis quotidiens le temps d'un songe. Murphy s'assit et plongea sa main dans le bassin à l'eau gelée. les carreaux bleu clair qui tapissait le fond ajoutaient toujours à la détente. il resta là quelques instants, à scruter les reflets du soleil sur l'onde bleutée.
sortant de sa torpeur il se tourna vers son acolyte.

"tu vas me prendre pour un dingue mais... il m'arrive de penser que cet endroit est un bout du jardin d'Eden, je m'y sens si bien. comme quoi il faut parfois peu de choses!"

ajouta-t-il d'un air peunot en observant le bassin, les deux bancs et la verdure bien modeste qui ornait le charmant spectacle.

Lily suivait le mouvement. Écoutant avec une certaine attention les paroles de son frère de meute, elle lorgnait en même temps les différents édifices évoquaient par son interlocuteurs. Bien entendu, tout cela n’avait pas beaucoup de sens pour elle. Mais par pure politesse, et aussi pour en apprendre un peu plus sur le passé de ce jeune homme, elle écoutait, tout simplement.

Ses yeux allaient d’un endroit à l’autre, et ses pensées aussi. Se serait que mentir de dire qu’elle avait écoutait tout du long avec l’attention des premières minutes. Par moment, elle s’égarait un peu avant de revenir, par un effort de volonté, dans la conversation. Et les rues et bâtiments défilés devant ses yeux. Enfin, le Fianna poussa une lourde grille appartenant à une demeure ancienne, au vue de l’architecture et de l’état des lieux. Mais la Furie Noire du reconnaître que cela avait un certain charme. Ils restèrent devant le bassin d’eau, agréable aussi au regard.

Elle ne put s’empêcher de sourire à l’évocation du jardin d’Eden par Murpy. Elle ajouta, sans moquerie cependant :

"Chacun est libre de croire ce qu’il veut tu sais… "

Elle ne savait pas quoi répondre d’autre devant cela. Pour sa part, la jeune femme n’était pas croyante, pour elle, on revenait à l’état de poussière et salut la compagnie. Oui il fallait peu de choses pour se contenter, mais parfois, l’ego prenait le dessus et il fallait beaucoup de choses. Mais là n’était pas a question. La jeune femme attendit donc une réaction, la suite des évènements.

"houla! doucement Lily... quand je parles de jardin d'Eden, c'est une image. je ne suis pas croyant. quand trop d'ennuis te tombent dessus, croire en quoi que ce soit devient assez dur.. enfin... je crois surtout que nous devrions nous presser!"

quittant l'eau ondoyante et ses reves, Murphy prit la direction d'un batiment situé à deux pas de là dans la cours. une fois entrés dans l'immeuble, le Fianna grimpa quelques marches et s'arreta devant un ascenseur. il invita la Furie à s'y introduire. fait étrange, les boutons indiquaient des étages intermédiaires. 1 et demi, 2et demi, et cetera, jusqu'au septième étage, là où vivait le garou.

"sympa ces vieux ascenseurs, 'me fera toujours tripper."

Murphy possédait un double des clés et tous deux furent bien vite dans l'appartement. le hall d'entrée, exiguë, était encombré d'un fratra d'objets aux usages aussi divers qu'inintéressant. des éclats de voix leurs parvinrent d'une pièce dont l'ouverture se trouvait au fond du couloir à droite. les murs à l'aspect ancien, voire antique, possédaient ce charme si particulier qu'ont les vieilles maisons, ce charme qui fait que l'on se dit que seul on n'y vivrait pas...

"on dirait qu'il y a un peu de monde! je te présente?"

"Yo Murphy c'est toi ? Qu'est ce que tu viens faire dans le coin ? On pensait que tu t'étais tiré pour te bon!"

"Ou que tu t'étais fait embarqué..."

"Mais ta gueule Dim'! ça va pas de dire des trucs pareils ?!"

Trois têtes abondamment chevelues venaient d'apparaître au milieu du fatras. Une fille et deux garçons tous âgés d'environ une vingtaine, d'années - l'un étendu dans son hamac fixé directement aux murs, les deux autres allongés sur un matelas - étaient réunis autour d'une table basse, ou plutôt du cendrier posé sur la table. L'un deux tentait vaguement d'enchaîner quelques accords sur une vieille guitare, tout en papotant avec ses compères. A voir leurs visages hilares, ces trois là n'avaient visiblement pas de soucis, beaucoup les auraient considéré comme d'infâmes squatteurs-junkies-rebelles, mais ils préféraient se qualifier de jeunes gens qui profitent de la vie tant qu'ils peuvent.

"Tu viens te poser avec nous mec ?"

"Tu parlais à qui tout à l'heure, t'es avec quelqu'un ?"

"yeah! salut les gens, ça faisait longtemps hein? 2 jours..."

ces types là étaient des amis de longue date de Murphy, depuis il avait appris à trainer avec une gente bien moins agréable mais toujours persistait en lui cette amitié qui le soudait à jamais à ses camarades de la première heure. la locataire officielle des lieux n'était pas encore rentrée, elle devait encore travailler.

"tu vas lacher ma gratt' Dim' ouais? je ne sais meme pas comment font les limaces pour te supporter, c'est encore pire que quand tu danses."

les deux "limaces" s'étaient en effet lancé dans un corps à corps à corps perdu, à y laisser corps et ame. les doux bruits de succion écoeurèrent légèrement Murphy, comme à chaque fois qu'il n'était pas lui meme dans le role de la limace. traversant la pièce il récupéra quelques affaires de-ci de-là.

"je reste pas longtemps désolé. ouais je suis venu avec une amie, mais j'ai peur qu'elle ne veuille pas voir vos sales bobines! remarquez je la comprends."

ces dernières phrases avaient été prononcées un peu plus fort, peut etre le Fianna espérait il que sa soeur de meute viendrait alors se joindre à eux, qui sait ce qui rode sur le palier.

Le dit Dimitri posa donc la guitare, lâchant au passage un grommellement en signe de légère protestation. Il fallait croire que le sujet des aptitudes musicales de chacun était souvent sujet à controverses.
Les deux autres interrompirent un instant leurs activités buccales pour regarder Murphy récupérer ses quelques affaires. Ils hochèrent brièvement de la tête.

"D'accord...."

Murphy se cassait. Avait-il trouvé une autre piaule ? d'autres potes ? Ces questions les deux garçons se la posèrent un instant avant de sombrer à nouveau dans l'apathie intellectuel qui caractérise malheureusement souvent les jeunes gens. Ils n'étaient pas du genre à trop s'encombrer de ce genre de préoccupations. S'occuper de soi est déjà assez difficile, il ne fallait surtout pas s'inquiéter de ce pouvait devenir quelqu'un qui allait faire sa vie ailleurs, en encore moins s'il le faisait de son plein gré.

"Bon ben... bonne continuation, à une prochaine fois p't'être..."

" Ouais, à bientôt… tu nous manquera… "

La fille ne semblait pourtant pas de cette avis, Murphy était un ami, un peu plus même (malgré sa relative frivolité). Elle se leva brusquement au moment où le jeune garou qu’était désormais Murphy s’apprêtait à partir. Elle voulait en savoir plus, pour elle se départ soudain cachait sûrement quelque chose. Surtout après deux jours d’absence.

" Murphy, je veux pas me mêler de ce qui me regarde pas mais j’aimerai savoir ce que tu compte faire ? Pourquoi est ce que tu prends tes affaires comme si tu avais l’intension de ne plus jamais revenir ? Murphy…tu… tu seras toujours le bienvenu parmi nous. Quoiqu’en pense ces deux là… ils te regretteront je le sais. "

un soupire. celui qui fait transparaitre cette difficulté à aborder un sujet délicat. celui qui dit "je voudrais t'expliquer, mais je ne m'explique pas tout moi-meme". puis un regard. triste, désolé, coupable. un banal mais si honnete "prends soin de toi", une dernière accolade. puis une porte qui claque. une vie qui fini.

tout à coups Murphy réalisa. il prit conscience de ce qu'impliquait son hérédité récemment dévoilée. enroulant son visage dans le keffieh sur lequel il venait de faire main basse, le Fianna se laissa glisser à terre, silencieux, à mille lieux de là.

combien de temps il resta là entre mille univers? le pire c'est qu'il n'en avait rien à foutre. de la Furie qui devait supporter sa crise de nerfs, du Rongeur qui patientait avec leurs déjeuners, de la guerre, des gentils et des méchants. putain de vision manichéenne.

bon allez on se releve, ne montre pas ton visage. ne dit rien.

"en route, Seth' nous attend."

Installé à la table près de l’entrée, Sethrus épluchait l’épais volume qu’était l’annuaire des adresses et téléphones des habitants de cette grande ville qu’était Paris. C’était fou le nombre de personnes qui habitaient les agglomérations, au milieu d’une telle foule il était décidemment de s’y fondre pour devenir invisible. Et de ce fait, retrouver une personne relevait parfois d’un des travaux d’Hercule.

Le déjeuner était servi mais le Rongeur d’Os préféra attendre ses compagnons de meute pour entamer les kebabs, poursuivant ses recherches. C’est alors que par la vitrine de l’échoppe il put les apercevoir à l’extérieur, Murphy portait un sac contenant certainement ses affaires ainsi qu’une guitare. Ah ! Ces Galliards et leur manie de vouloir toujours tout faire en musique. Lily le suivait, impassible comme toujours.
Seth’ leur fit un signe, les invitant à le rejoindre à table.

" Vous avez trouvez tout ce que vous vouliez ? Ben t’en fait une tête Lily, ça va pas ? "

Une fois tout le monde réuni, le Rongeur d’Os fit la distribution des vivres. Cette pause permettrait à tout le monde de prendre des forces et de mettre quelques petites choses au point.

" J’ai réussi à dénicher un annuaire, je l’épluche depuis tout à l’heure. J’ai peut être quelques pistes, mais y a tellement de monde dans cette ville… "

Ils arrivèrent finalement au convenu quelques dix minutes plus tôt, pour apercevoir leur ami réfugié derrière une vitrine d'une échoppe dont le nom en disait long sur la nature des biens vendus. Hum.... à table !

En quelques enjambées, la Furie Noire fut derrière la table, après avoir poussé une porte, laissé passer une vieille dame avec son caniche tenu d'une poigne d'acier via une laisse, et un léger stalom entre divers clients. Elle put de ce fait entendre la remarque de Séthrus à propos de sa tête. Mais qu'est ce qu'elle a sa tête ? Rien de spécial... Elle ne put s'empêcher de réprimer une moue relevant de l'etonnement, avant de répondre, aimablement, amicalement même :

"J'ai faim, voilà tout... sa doit ête ça...."

Un sourire, Lily voyait son humeur revenir au beau fixe à l'approche du repas. Croquant à pleines dents dans son kebab, la jeune femme acquieça de la tête à l'évocation des nombreuses pises possibles.

"Il s'appel comment notre gus déjà ? Il ne doit pas en avoir des masses des personnes qui portent le même nom.., finit-elle par dire, entre deux bouchées goulument avalées."

ha! à table! le Fianna avait beau etre né sous le signe du poete, sa façon de déguster les plats qu'on lui tendait accomplissaient un travail de sape absolument merveilleux lorsqu'il s'agissait de dégouter les convives. dévorant à belle dents le kebab tendu par Seth', il ne fit rien d'autre que se baffrer, écoutant d'une oreille distraite les propos de la Furie. l'un des morceaux de viande projetés en tous sens tomba sur le plateau du voisin du Galliard. un gros morceaux, bien juteux. Murphy s'en saisit et l'enfourna dans son gosier avide de chair.
c'était là le grec le plus savoureux qu'il n'ai jamais mangé, le gout envahissait ses sens, le poussant au bord de l'ivresse. mais la viande restait ce qui l'obnubilait le plus, le reste était superficiel.

hélas, trop vite le délice prit fin lorsque la dernière bouchée de pain fut avalée. frustration! frustration qui saisit alors l'estomac du lycantrope en meme temps que la faim. encore, il en fallait encore.

Murphy se leva.

"bon c'était bien bon! maintenant je passe au plat de résistance! qui m'aime me suive. quant au daron de Folt ou Fold, on aura bien le temps pendant la digestion non?"

Voyant ses deux compagnons entamer leur repas, entreprit de commencer à manger. Mais avant de porter le kebab à sa bouche, il se signa devant lui et murmura ces quelques prière:

"Je te remercie Gaïa pour le don que tu m'a fait. S'il te plait prête moi encore ta force dans le mission qui m'est confiée aujourd'hui. En signe de reconnaissance accepte cette modeste offrande à ton enfant Coyote, mon protecteur."

Le Rongeur d'Os ôta un morceau de viande du sandwich et le mis dans une poche de sa veste, enroulé dans une serviette en papier, pour le donner plus tard à un des chiens qu'ils croiseraient certainement dans la journée. Après quoi, il commença à manger. Il n'accordait aucune importance au fait que ni le Galliard ni la Philodox ne fasse de prière à Gaïa ou à leur totem. Ils étaient jeunes et ne croyaient sûrement pas à tout ce qui devait leur paraître comme du vulgaire mysticisme. Du moins ils n'y croyaient pas encore.
Son estomac calmé, il présenta l'annuaire à Murphy et Lily pour leur montrer le fruit de sa recherche pendant leur absence. Trois noms étaient entourés au stylo.

"C'est Felh son nom, et heureusement c'est pas trop courant. J'ai trouvé trois personnes qui pourraient être notre cible. Vu qu'aucune n'est très éloignée, je propose qu'on les visite une à une, je pense qu'on sentira si le type en face de nous est un parent ou non."

avalant bruyamment une bouchée, Murphy regarda d'un air bovin ses deux compagnons.

"hein? ha heu... oui bien sur, de toute façon j'emporte le reste. bon alors, où habite le premier?"

le Fianna espérait que ses frère et soeur de meute ne remarqueraient pas le léger teint cramoisit que sa peau adoptait, histoire de l'humilier un peu plus. ha ça, un ogre faisait pale figure devant un tel dévoreur. revient à l'esprit de Murphy une image, un concours d'avaleurs de nourriture dans un film qui le marqua profondément..."taxidermie" il lui semblait bien. mais ceci est une autre histoire.

s'esuyant les commisures des lèvres recouvertes de sauce, il se racla la gorge.

"bon allons y, on n'a pas toute la journée devant nous non plus!"